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Norvège - Le casque viking de Gjermundbu aurait été porté par un guerrier de premier plan en Russie kiévienne

Elle est célèbre pour la découverte historique en Scandinavie du "seul casque viking". La plus riche tombe masculine du Xème siècle en Norvège a récemment fait l'objet d'une nouvelle étude qui dresse désormais le portrait de son détenteur, un guerrier en lien avec les puissants de l'Extrême-Orient et du Sud de l'Europe.

La sépulture en question a été mise au jour par hasard en 1943 sur les terres de la ferme Gjermundbu, près du hameau de Haugsbygd, dans la municipalité de Ringerike. Mais avec les restriction des déplacements et autres interdictions de mise en temps de guerre, les archéologues de l'Université d'Oslo ne purent mener une fouille de sauvetage à grande échelle, ni documenter correctement cette découverte.

 

Elle ne fit d'ailleurs l'objet d'une publication par l'archéologue Sigurd Grieg qu'en 1947 (Gjermundbufunnet : en høvdingegrav fra 900-årene fra Ringerike).

 

Un nouvel éclairage

Norvège - Reconstitution de la tombe de Gjermundbu - Illustration: Ragnar Løken BørsheimGjermundbu est devenu célèbre à plus d'un titre, mais sans doute en premier lieu parce qu'elle contenait des artefacts très rares dans l'archéologie de l'Âge Viking: un casque et une cotte de mailles. Néanmoins, d'autres objets remarquables ont été répertoriés, dont certains révèleraient à présent les liens du défunt avec la Rus' de Kiev, il y a plus de 1000 ans.

Frans-Arne H. Stylegar, archéologue et historien à l'Université d'Oslo, et son collègue Ragnar Løken Børsheim, ont publié les résultats de leurs recherches le 13 Décembre 2021 dans le dernier numéro de la revue archéologique Viking.

Ils ont essayé de reconstituer les réelles circonstances de la découverte en parcourant la documentation originale, et en la complétant par les articles de journaux et de la correspondance datant de l'époque de la découverte. De plus, les auteurs de l'étude ont cherché à établir des parallèles entre les objets et le rituel spécifique de Gjermundbu et d'autres sépultures similaires connues.

En lien avec leur publication, plusieurs suggestions de reconstitutions virtuelles et illustrations du rituel funéraire, tel qu'il a pu se dérouler sur les terres de l'ancien petit royaume de Ringerike à la fin du Xème siècle, ont été réalisées. 

 

Victime du contexte de l'époque 

Bien que certains des objets de la sépulture aient été et soient toujours récurrents dans la littérature archéologique nationale et étrangère, les chercheurs sont partis du constat selon lequel la découverte de Gjermundbu n'avait guère été considérée dans son intégralité depuis la publication de Grieg en 1947.

"Je pense que c'est, d'abord et avant tout, dû à deux choses. La raison principale est sans aucun doute que la découverte semble immense en raison de sa splendeur, tandis que la documentation originale est peu satisfaisante et assez naturellement marquée par la guerre et la réelle intervention en urgence de la Collection des Antiquités nationale à cette époque", explique Frans-Arne H. Stylegar.

"Mais dans une certaine mesure, cela est probablement aussi dû au fait que la découverte de Gjermundbu a longtemps eu peu à ajouter aux recherches norvégiennes sur l'Âge Viking, qui pendant de nombreuses années après la guerre se sont fortement concentrées sur les contacts avec les îles britanniques et d'autres connexions occidentales."

 

La tombe masculine la plus riche de Norvège

Gjermundbu est probablement, en termes de qualité du matériel funéraire, la tombe masculine la plus riche de l'Âge viking en Norvège - surpassée seulement par les fameux bateaux-tombes du Vestfold, de Karmøy et du Nordfjord.

Le grand tumulus, de 25 mètres de long et de 8 mètres de large, contenait un grand nombre d'artefacts: des armes sous la forme de 2 épées et d'un grand couteau, 2 haches, 2 lances, 4 boucliers et un paquet de flèches, un casque et une cotte de mailles, des étriers et des éperons, des pièces de jeu et des dés, de l'équipement pour au moins 5 chevaux et pour 1 ou 2 traîneaux, plusieurs malles et coffres, ainsi que divers outils. La plupart de ces objets, conservés au Musée d'Histoire culturelle d'Oslo, sont extraordinairement élaborés, à l'instar de la magnifique poignée d'une épée et d'un fer de lance.

Suivant la coutume funéraire dominante dans l'est de la Norvège à cette époque, les restes de la crémation, composés d'os brûlés, d'objets funéraires, de charbon et de cendres, étaient généralement dispersés à la surface du sol. Or la plupart des objets, qui se trouvaient dans une fosse au centre du tertre de Gjermundbu, reposaient sous une grande marmite en fer retournée. Le tout semble avoir été disposé sous la couche comprenant les résidus de la crémation, avec des ossements brûlés et des restes de charbon de bois, ce que les auteurs jugent très inhabituel. 

Grieg en a déduit qu'il était en présence de deux tombes différentes situées au même endroit et a fondé son interprétation du matériel funéraire sur cette base. Il est possible qu'il ait raison, admet Frans-Arne H. Stylegar. Auquel cas, les deux funérailles auraient eu lieu à la fin du Xème siècle. Mais le chercheur souligne combien les tombes de l'Âge Viking constituent des vestiges matériels de rituels complexes. Ce qui a traditionnellement été perçu comme différentes tombes dans un même tertre, peut tout aussi bien être interprété comme des traces de différents dépôts et séries d'actions.

 

Un casque unique en Europe occidentale, mais pas à l'Est

Casque viking de Gjermundbu, Xème siècle,  Norvège - Photo: Ellen C. Holte / Musée d'Histoire culturelle d'OsloPour le meilleur ou pour le pire, ce sont donc le casque et la cotte de mailles qui ont le plus monopolisé l'attention des experts lors de la découverte de Gjermundbu. La raison en est simple: c'est la seule découverte de ce genre parmi toutes les sépultures de l'Âge viking mises au jour en Scandinavie et plus largement en Europe occidentale.

Néanmoins, à l'époque où le casque (et dans une moindre mesure l'armure) de Gjermundbu est présenté comme "le seul casque viking d'Europe", le point de départ est précisément l'Europe occidentale ou la Scandinavie. Pourtant, plus à l'Est, dans l'ancienne Rus' de Kiev, les casques et les armures sont des éléments caractéristiques, quoique peu nombreux, du matériel funéraire des riches tombes masculines du Xème siècle.

Selon la légende, le royaume de Kiev, le Garðaríki [terme en vieux norrois utilisé pour désigner les États autour de Novgorod] des sagas scandinaves, a été fondé par les Vikings au IXème siècle. À son apogée, la principauté comprenait un grand nombre de peuples slaves, baltes et finno-ougriens. Sous le règne des grands princes Vladimir et Iaroslav, elle s'étendait de Ladoga près de l'actuelle Saint-Pétersbourg à Moscou jusqu'aux Carpates, la chaîne de montagnes qui s'étend de l'actuelle République tchèque à la Roumanie. Après 1054, à la mort de Iaroslav, la Rus de Kiev fut divisé entre ses fils et sévèrement affaibli par les guerres civiles qui suivirent.

 

Une cérémonie funéraire aux accents orientaux

Les tombes qui contiennent parfois des casques et des armures se trouvent en Russie et en Ukraine. Il s'agit de lieux de sépulture qui peuvent être soit liés aux souverains de la principauté de Kiev et à leur entourage immédiat, soit à leur garde armée que l'on appelle druzhina: par exemple, les tombes de Gnezdovo près de Smolensk (Russie), près de Tchernihiv (Ukraine), près de Yaroslavl (Russie) et à Kiev-même, la capitale de l'actuelle Ukraine.

Dans le grand tumulus de Chernaya Mogila à Tchernihiv, un certain nombre d'objets ont été collectés dans la couche de dépôt lié à la crémation, dont deux casques, des fragments d'une ou deux armures, deux magnifiques épées, dix lances, un certain nombre de pointes de flèches, deux paires d'étriers, deux grandes cornes à boire ornées d'argent doré, des pièces de jeu, deux pièces d'or byzantines, etc.

Qui plus est, les chercheurs ont comparé le ou les traîneaux de la tombe de Gjermundbu à ceux mis au jour dans l'est de la Norvège, en partie dans l'est de la Suède, mais aussi plus loin encore à l'Est, comme dans le cimetière de Plakun à Staraïa Ladoga. Des sources écrites font également état du rôle central du traîneau dans les cérémonies funéraires de la Rus' de Kiev. 

D'autres objets enfin, comme la magnifique épée, témoignent surtout de l'appartenance de l'individu de Gjermundbu à une caste de guerrier international et à une classe sociale supérieure. "La découverte de Gjermundbu et de son matériel funéraire est une découverte hors du commun. Ici, les traditions nationales et les stratégies éprouvées se rencontrent pour montrer la continuité avec les expressions passées du pouvoir et le phénomène international des tombes équestres richement équipées qui se produisent dans une grande partie de l'Europe, dans des régions où la tradition funéraire chrétienne n'était pas encore dominante. Dans notre cas, ce mélange a également une nette touche orientale. Certaines caractéristiques des coutumes funéraires, telles que le casque, l'armure et le traîneau, indiquent que ceux qui ont organisé les funérailles ont peut-être assisté de très près à la façon dont les enterrements princiers étaient conduits dans la partie orientale", écrit  Frans-Arne H. Stylegar.

 

Du royaume de Ringerike à la druzhina du prince de Kiev

Mais qui était-il, ce guerrier à cheval dont les funérailles eurent lieu à Gjermundbu à la fin du Xème siècle? Les chercheurs reconnaissent qu'il n'obtiendront jamais de réponse précise à cette question. Seul le caractère oriental de la découverte délivre une piste sérieuse d'interprétation, au regard de la "participation des gens des terres du Nord à la druzhina des princes de Kiev ",

Il n'était pas rare en effet que des guerriers scandinaves rejoignent les forces armées de célèbres dirigeants à cette époque. Des sources écrites et archéologiques parlent d'hommes qui se sont rendus en Angleterre ou ont intégré la garde varangienne de l'empereur byzantin, tandis que d'autres sont entrés au service des princes de Kiev ou de Novgorod.

L'inscription sur la célèbre pierre runique d'Alstad à Østre Toten, dans l'ancien comté de l'Oppland en Norvège, en est le plus bel exemple: c'est la seule inscription runique de l'Âge Viking qui commémore une personne décédée dans la principauté de Kiev. Quelques siècles après, les sagas mentionnent Olav Haraldsson et son demi-frère Harald Sigurdsson, mais aussi Eymund Ringsson, qui acquirent une position politique et militaire importante dans la Rus' de Kiev après la mort du grand-prince Vladimir Ier en 1015, ainsi que Sigurd Eiriksson, l'oncle d'Olav Tryggvason, qui faisait partie de la druzhina de Vladimir le Grand dans les années 980.

"Le lourd équipement équestre qui se trouvait dans la tombe de Gjermundbu, avec casque et cotte de mailles, épées, arc et flèches, est comme un écho des batailles des princes de Kiev contre divers peuples cavaliers dans les steppes au sud et à l'est. Dans les années 960, Sviatoslav [père de Vladimir le Grand] a mené des campagnes contre l'empire Khazar et contre les Bulgares dans les Balkans, et il était en guerre avec les Petchenègues. Après son arrivée au pouvoir en 980, Vladimir a combattu les Bulgares de la Volga en 985 et était toujours en conflit avec les Petchenègues. La principauté de Kiev a également côtoyé la cavalerie lourde des Byzantins sur le champ de bataille, comme lorsque Vladimir en 986-987, avec ses mercenaires scandinaves, a aidé l'empereur Basile II à écraser une révolte interne", a résumé  Frans-Arne H. Stylegar.

L'individu de la tombe de Gjermundbu devait, selon lui, faire partie de cette tradition orientale. "Il n'est pas improbable qu'il ait joué un rôle de premier plan dans cette affaire, et peut-être même l'a-t-il organisée", conclut l'archéologue.

 

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