Norvège - Des Vikings plus violents en Norvège qu'au Danemark
- Le 05/08/2024
- Dans Archéologie
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Les sociétés à travers la Scandinavie de l’Âge Viking n'ont pas toutes entretenu le même rapport à la violence. Selon une nouvelle étude, il s'avère que le nombre d'armes et le risque d'une mort violente étaient beaucoup plus élevés en Norvège qu'au Danemark.
Une équipe internationale de chercheurs, composée de Jan Bill (Université d'Oslo), David Jacobson (Université du Sud de la Floride), Susanne Nagel (chercheuse indépendante) et Lisa Mariann Strand (affiliée au NTNU à Trondheim), s'est donnée pour objectif d’en apprendre davantage sur les sociétés de l’Âge Viking, en comparant la Norvège et le Danemark à travers le prisme de la violence.
"Nous utilisons la Sociologie en combinaison avec l’Archéologie, l’Ostéologie et la Philologie pour contribuer à cet engagement scientifique. Nous le faisons en étudiant la violence interne dans les sociétés scandinaves à une période historique – l’Âge Viking – au cours de laquelle elles allaient devenir plus connues pour leur exportation de la violence", écrivent les auteurs.
Les chercheurs ont comparé le matériel squelettique à d’autres matériaux et sources liés à l'expression de la violence et à la stratification sociale de la Scandinavie de l'époque, selon les indicateurs suivants:
- La fréquence des traumatismes liés aux armes sur les restes squelettiques.
- La fréquence des armes de l'époque viking, en particulier des épées, dans les tombes.
- La fréquence, la taille et les types de travaux de terrassement (soit l'environnement bâti: tumuli, canaux, fortifications...)
- La fréquence et le caractère des hiérarchies sociales indiquées dans les textes de pierres runiques.
Les résultats de leurs travaux ont été publiés dans la revue Journal of Anthropological Archéology (vol. 75)
De la violence des Vikings
Le caractère violent des Vikings est notoire d'après les nombreuses annales européennes qui attestent de leurs actes malveillants du VIIIème au XIème siècle de notre ère.
Mais le système de croyances des anciens Scandinaves de l'époque était lui-même empreint d'une grande violence.
Dans la mythologie nordique, le commencement et la fin du monde sont tous deux présentés comme de terribles événements. Pour créer le monde, trois frères, Vili, Vé et Oðinn (Odin), assassinent et déchirent le corps du géant Ymir, utilisant son sang pour créer la mer et son crâne pour créer le ciel, tandis que le Ragnarök y met fin par une série de cataclysmes et une ultime bataille.
Þor (Thor), Týr et Óðinn (Odin), les principaux dieux du panthéon nordique sont des dieux guerriers; et pour un Viking, une mort violente au combat constituait la plus honorable manière de passer à trépas - celle permettant de rejoindre le Valhalla et d'intégrer l'armée des Einherjar dans l'au-delà.
Une idéologie martiale qui se reflète jusque dans la poésie scaldique. "Il a néanmoins été surprenant de constater l’ampleur extraordinaire des traumatismes révélés par une analyse ostéologique de 30 squelettes humains provenant de toute la Norvège de l’époque viking", indiquent les chercheurs.
Davantage de morts violentes en Norvège qu'au Danemark
Les universitaires ont examiné des restes squelettiques datés de l'Âge Viking mis au jour en Norvège et au Danemark, à la recherche de blessures faites par arme blanche. Au total, 30 squelettes norvégiens (12 femmes et 18 hommes) et 82 squelettes danois (41 femmes, 33 hommes et 8 individus dont le sexe n'a pu être déterminé) ont été étudiés.
Le constat est sans appel: 37% du groupe norvégien, soit 11 individus morts après avoir été agressés avec des armes, contre 7% du groupe danois, soit 5 individus (4 hommes et 1 squelette indéterminé) auxquels il faut ajouter un homme présentant un traumatisme compatible avec une pendaison, sont décédés de manière violente.
"Le nombre de squelettes examinés (30 norvégiens et 82 danois) n'est pas important, mais les différences entre les deux échantillons sont si marquées qu'elles s'avèrent statistiquement significatives. Les différences entre les deux groupes deviennent encore plus prononcées lorsque l’on considère la nature des meurtres", commentent les chercheurs.
Ils relèvent au passage que "les similitudes dans l'étiologie des traumatismes entre les femmes et les hommes norvégiens peuvent indiquer que les femmes constituaient une menace réelle pour les auteurs de violences (elles étaient traitées aussi brutalement que n’importe quel autre ennemi) et témoignent donc de leur influence sur la scène politique et sociale."
50 fois plus d'armes en Norvège
Selon la documentation danoise, 5 des 6 cas de mort violente sont des exécutions, alors que la documentation norvégienne pointe "des meurtres d'un caractère très différent". "Les meurtres semblent dépendre fortement du cadre sociopolitique dans lequel ils ont lieu", spécifient les auteurs de l'étude.
Grâce aux bases de données de 5 musées archéologiques norvégiens qui répertorient plus de 3000 épées vikings et aux travaux d'Anne Pedersen qui a analysé les sépultures danoises de l’époque viking préchrétienne, les chercheurs ont notamment découvert qu'il y avait 10 fois plus de tombes d'armes en Norvège qu'au Danemark pour une population estimée 5 fois plus petite que celle des Danois.
"On peut conclure que les armes étaient beaucoup plus courantes - peut-être cinquante fois plus - comme mobilier funéraire en Norvège qu’au Danemark. Alors qu’en Norvège, une grande partie de la population choisissait de placer une ou plusieurs armes dans la tombe, c’était une chose rare au Danemark, surtout en dehors du Xème siècle de notre ère", rapportent-ils.
C'est une preuve pour le moins, que le port d’armes était un élément identitaire plus important en Norvège qu’au Danemark et une telle abondance suggère une société où la violence interpersonnelle, ou la menace de violence, était prédominante et faisait partie intégrante de la vie quotidienne. Les Danois, en revanche, avaient tendance à recourir à des formes de violence plus institutionnelles, des actions punitives standardisées telles que des exécutions et des châtiments corporels.
Le rôle de la christianisation
L'étude met également en évidence des différences significatives dans les structures sociales et politiques des deux pays à l'Âge Viking, ce qui concorde avec de récentes recherches génétiques selon lesquelles les populations du Danemark et de la Norvège de cette époque "représentaient des pools génétiques légèrement, mais nettement différents".
Le Danemark présente une société plus hiérarchisée, avec des structures de pouvoir complexes, une autorité centralisée, de vastes projets de construction et de défense qui atteignent leur apogée sous le règne d'Harald à la Dent bleue, et un système réglementé de la violence. "Les pierres runiques du Danemark fournissent des preuves supplémentaires de loyautés qui transcendaient la parenté comme principe organisateur des relations sociales", notent les auteurs.
En comparaison, la structure sociale norvégienne est plus "chaotique", décentralisée, fondée sur des clans et un pouvoir dispersé entre des chefferies, où les conflits sont souvent résolus par la force. Les relations de parenté sont presque la seule base des inscriptions sur les pierres runiques norvégiennes, quand des titres de noblesse de divers degrés (thegn pour "noble" ou konungr pour "roi") figurent sur les pierres runiques danoises.
Pour expliquer ce phénomène, les chercheurs évoquent la christianisation. Le Danemark avait davantage accès au reste de l’Europe, ce qui a pu influencer ses pratiques et lui permettre une conversion plus précoce au christianisme. Le relief très accidenté de la Norvège, avec ses montagnes escarpées et ses glaciers, pourrait expliquer que les structures sociales archaïques et décentralisées aient perduré plus longtemps.
"La circonstance de la civilité est l'anomalie à expliquer"
D'après Anne Pedersen, chercheuse au Musée national du Danemark (Nationalmuseet), les différences en termes de violence et d'armes funéraires peuvent être attribuées aux différentes coutumes funéraires des deux pays. Elle souligne notamment qu'il était peut-être courant en Norvège d'enterrer les hommes avec leur épée, alors que cette pratique n'était peut-être pas aussi répandue au Danemark.
De plus, ses propres recherches indiquent qu'il existe des différences régionales au sein même du Danemark. Le Jutland (Jylland) présente un plus grand nombre de tombes contenant des armes que l'est du pays, ce qui pourrait suggérer qu'une structure sociétale plus rigide dans certaines régions a conduit à ce que les armes ne soient pas utilisées pour signifier un statut social lors des enterrements.
Le manque de matériel osseux dans certaines régions du Danemark, en raison des conditions du sol, peut également entraîner une sous-estimation du nombre de blessures violentes, souligne-t-elle. Malgré ces quelques réserves, Anne Pedersen estime que cette étude est en mesure d'ouvrir la voie à de nouvelles investigations et à des modèles explicatifs concernant les différences historiques entre les deux populations vikings.
"La préoccupation pour la violence est (...) une caractéristique animatrice continue des relations sociales et des arrangements institutionnels. Cette préoccupation devient, directement ou indirectement, un lien central dans la formation des relations sociales et économiques, ainsi que politiques. La question clé est, historiquement, d'expliquer la diminution de la violence à des niveaux suffisamment bas pour que les liens civiques et contractuels prospèrent. La circonstance de la civilité est l'anomalie à expliquer", concluent les auteurs de l'étude.
- Sources: www.thelocal.dk, www.euroweeklynews.com, www.en.365nyt.dk (synthèse et traduction / Kernelyd)
- Lire l'étude: Violence as a lens to Viking societies: A comparison of Norway and Denmark
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