IDAVOLL

Pays baltes - Des chevaux importés de Scandinavie à la fin de l'Âge Viking pour les derniers sacrifices païens en Europe

Selon une récente étude de l'Université de Cardiff, des chevaux scandinaves ont traversé la mer Baltique à bord de navires vers la fin de l'Âge Viking, sur des distances atteignant 1500 km. Le prestige associé à cette importation serait notamment le principal critère de sélection des équidés qui furent sacrifiés lors des rituels funéraires des derniers païens du vieux continent.

Le sacrifice et le dépôt de chevaux sont une composante importante des rites funéraires dans toute l'Europe préhistorique. Ils le sont d'autant plus dans la culture balte où ces pratiques ont persisté du Ier jusqu'au XIIIème siècle, comme le montrent diverses sources historiques: de nombreux objets équestres anciens ont été découverts sur les sites et des récits de voyages rapportent que les élites baltes buvaient du lait de jument fermenté. Cependant, parce que les Baltes ne furent alphabétisés qu'au moment de leur conversion au christianisme, la plupart des informations sur leur mode de vie, y compris leurs croyances païennes, proviennent des fouilles archéologiques.

Dans une nouvelle étude publiée le 17 mai 2024 dans la revue Science Advances, les chercheurs de l'Université de Cardiff détaillent leur analyse biomoléculaire des restes sacrificiels de 80 chevaux provenant de 9 sites archéologiques de la région baltique orientale - le nord-est de la Pologne, la Lituanie et la province russe de Kaliningrad prise en sandwich entre ces deux pays. Les résultats qu'ils ont obtenus ont révélé que des chevaux, aussi bien mâles que femelles, étaient sélectionnés pour les sacrifices et que certains d'entre eux étaient importés de loin.

Ce projet a reçu un financement du programme européen Horizon 2020, du ministère polonais des Sciences et de l'Enseignement supérieur, de la National Geographic Society, de la Société d'Archéologie médiévale, de la Fondation Alexander von Humboldt, de la Deutsche Forschungsgemeinschaft et de l'Université de Cardiff.

 

"Un spectacle public sanglant et macabre"

Pays baltes - Reconstitution d'un dépôt sacrificiel de cheval à Paprotki Kolonia, en Pologne - Illustration: Mirosław KuzmaLes recherches archéologiques menées au cours des 150 dernières années montrent à quel point le sacrifice public et le dépôt de chevaux dans les cimetières sont des caractéristiques immuables du ritualisme balte préchrétien du Ier au XIIIème siècle de notre ère, rappellent les auteurs de l'étude. 

Néanmoins, cette pratique revêt une grande variété de forme et de composition, qu'elle concerne un ou plusieurs chevaux, entiers ou partiels, avec ou sans équipement d'équitation.

De même, dans de nombreux cimetières baltes, les chevaux ont été enterrés séparément des humains, mais il existe aussi de nombreux exemples de crémations dite "à double couche" (i.e. superposées).

 "Les chevaux entiers sont documentés dans différentes positions, le plus souvent accroupis ou allongés sur un côté. Le dépôt d'animaux partiels devait être un spectacle public sanglant et macabre, impliquant souvent la décapitation, l'écorchage et le dépeçage en deux ou en quartier des chevaux, voire leur enterrement vivant", précisent-ils. 

 

34% de juments

Jusqu’à présent, il était admis que les chevaux sacrifiés étaient tous des étalons d’origine locale, le sexe du cheval et l'utilisation de races locales constituant les seules données cohérentes dans le temps et dans l'espace.

Pour éprouver cette hypothèse au long cours et déterminer si les tendances ont changé au fil du temps, l'équipe de chercheurs a analysé l'ADN des 80 chevaux et découvert qu'environ 66% étaient des mâles - sans pouvoir affirmer s'il s'agit d'étalons ou de hongres (i.e. chevaux castrés) - et 34% des juments.

"Nos résultats suggèrent que les Baltes ne sélectionnaient pas exclusivement des chevaux mâles pour ce rituel, comme on le pensait auparavant", a déclaré l'auteure principale Katherine French, zooarchéologue anciennement à l'Université de Cardiff au Royaume-Uni et maintenant basée à l'Université de l'État de Washington, dans un e-mail à Live Science.

Ce déséquilibre dans les pourcentages pourrait être dû, selon les auteurs, à l'importance économique relative des juments pour l'élite balte qui élevait des chevaux et consommait du lait de jument fermenté.

 

Originaires de la péninsule fennoscandienne

Les chevaux étaient si courants sur le territoire des Baltes que personne ne s'était jamais demandé auparavant si les animaux provenaient de la région ou d'ailleurs. Mais dans leur nouvelle étude, les chercheurs ont effectué une analyse isotopique du strontium de l'émail de 115 dents issues de 74 chevaux pour tenter d'identifier leur origine.

Le sol, l’eau et les plantes ont une composition chimique qui reflète leur géologie inhérente. La signature chimique est absorbée par les animaux lors de leur consommation et reste enfermée dans l'émail de leurs dents, permettant aux archéologues de retracer leur parcours de vie des centaines d'années plus tard.

C'est de cette façon qu'ils ont pu établir que trois des chevaux n'ont pas été élevés localement. "Les résultats confirment qu'il n'y a aucune possibilité que les chevaux soient originaires du territoire des tribus baltes et que la région la plus probable pour ces chevaux est la péninsule fennoscandienne, en particulier le centre-est de la Suède ou le sud de la Finlande", écrivent-ils.

 

Des chevaux à bord des navires vikings

Les trois chevaux ont été datés au carbone 14 du XIème au XIIIème siècle environ, une époque où les réseaux commerciaux à travers la mer Baltique, en particulier avec la Suède, étaient bien établis et où l'activité des Vikings est bien documentée. C’était aussi une période où il existait encore une résistance païenne au sein du royaume de Suède, qui se convertit officiellement au christianisme en 1164.

"Les tribus païennes baltes s'approvisionnaient clairement en chevaux à l'étranger auprès de leurs voisins chrétiens tout en résistant à la conversion à leur religion. Cette compréhension révisée du sacrifice de chevaux met en évidence la relation dynamique et complexe entre les communautés païennes et chrétiennes à cette époque", relève le Dr Richard Madgwick, co-auteur de l'étude basé à l'École d'Histoire, Archéologie et Religion de l'Université de Cardiff.

À Kaliningrad (Alejka 511), le fait qu'un cheval non indigène ait été enterré avec un artefact d'influence scandinave - un poids, objet typique des sites commerciaux d'influence scandinave de l'époque - peut suggérer d'après les auteurs que son propriétaire s'identifiait comme païen et participait activement au commerce trans-baltique. Mais il est également possible, selon eux, que les chevaux importés soient arrivés avec leurs propriétaires scandinaves, enterrés dans le style balte.

 "Dans les deux cas", indiquent-ils, "nos résultats prouvent que les chevaux traversaient la mer Baltique à bord de navires, un niveau de mobilité non identifié auparavant sur le plan archéologique."

 

Un puissant acte de résistance

En conclusion, l'équipe de chercheurs suggère que si le prestige socio-économique des animaux importés a pu être le critère de sélection principal pour un rite sacrificiel, celui-ci peut également être considéré comme un puissant acte de résistance et de résilience au sein d’une communauté païenne persistante.

Flint Dibble, zooarchéologue à l'Université de Cardiff, n'a pas participé à l'étude, mais il estime que cette nouvelle étude, à la fois innovante et percutante, démontre comment des méthodes scientifiques peuvent être appliquées pour étudier d'anciennes populations animales. 

"La taille impressionnante de l'échantillon - 80 chevaux - révèle l'importance d'appliquer ces méthodes à un ensemble de données significatives et localisées afin de dégager des modèles archéologiques pertinents", stipule-t-il, avant d'ajouter: "le commerce à longue distance des chevaux en Europe du Nord est désormais un sujet qui nécessite des investigations plus approfondies".

Sans attendre, Katherine French s'est déjà lancée dans de nouvelles recherches. "Je travaille actuellement sur un projet distinct portant sur la technologie des navires contemporains afin de déterminer comment et combien de chevaux pouvaient être transportés sur les navires marchands de l'Âge Viking ."

 

viking archéologie cheval tombe sépulture sacrifice Pologne Lituanie Russie

  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire