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Norvège - Près d'un milliard de dirhams en circulation dans le monde viking en 150 ans

Un chercheur norvégien a évalué à près d'un milliard le nombre de pièces de monnaie du califat islamique qui auraient afflué vers le monde viking en 150 ans. L'argent dont elles sont faites incarne, selon lui, une des forces motrices de l'Âge Viking.

Aujourd'hui, Teisen, à Oslo, est un quartier résidentiel classique avec de petits immeubles et des maisons individuelles. Mais pendant des siècles, ce fut une région aux terres agricoles fertiles.

Il est donc probable que ce soit un fermier de Teisen qui ait enterré ici un important trésor d'artefats en argent quelque temps après l'an 919 de notre ère - date figurant sur la plus récente des pièces de monnaie mises au jour, rapporte le Musée de l'Âge Viking.

Ce trésor mis au jour en 1844 comprend, comme tant d'autres, non seulement de nombreuses pièces d'argent avec des inscriptions arabes, appelées dirhams, mais aussi des bijoux finement ouvragés et des lingots entaillés qui pourraient tous avoir été façonnés à partir des monnaies islamiques.

 

Des quantités considérables dans le sol suédois

Un des 12 dirhams datant de la fin du VIIIème siècle découverts sur le site de Gorozhane (Pskov, Russie) - Photo: Alexander MikhailovLe dirham est une monnaie frappée par le califat islamique, également connu sous le nom de califat abbasside, lequel débuta vers l'an 700 et se poursuivit sous diverses formes jusqu'en 1258. À son apogée, ce dernier gouvernait une immense région correspondant aujourd'hui à l'Afrique du Nord, au Moyen-Orient et à la péninsule arabique.

Mais alors que tout porte à croire que les pièces d'argent islamiques devaient être rares en Europe du Nord, des quantités considérables semblent avoir fini en Scandinavie, dans les actuels pays que sont la Suède et la Norvège, et jusqu'en Russie.

Dans un article de 2024, le professeur d'Archéologie suédois Martin Rundkvist écrivait à ce sujet : "Disons que si l'on envoyait 25 prospecteurs à l'aide de détecteurs de métaux dans un champ du sud de la Suède pendant trois jours et qu'on les empêchait de trop se déplacer, ils trouveraient toujours des dirhams."

 

Une écriture mystérieuse

Si les quantités de pièces trouvées avec une inscription coufique (une forme ancienne d'écriture arabe) sont moindres en Norvège qu'en Suède, où l'île de Gotland constitue un cas particulier, il n'est pas anodin qu'elles soient parvenues jusque là.

L'argent dit "islamique", en référence à la fois à la religion et aux écritures du califat abbasside, circulait dans les villages et sur les marchés de l'ancienne Scandinavie, et a notamment traversé les siècles grâce aux trésors enfouis et disséminés aux alentours des habitations. 

Les Vikings connaissaient bien cette monnaie aux inscriptions mystérieuses. "Mais d’après ce que nous savons, personne ou du moins très peu de gens comprenaient les symboles sur les pièces", précise Svein H. Gullbekk, numismate et professeur à l'Université d'Oslo (UiO).

 

La quête de richesse

Norvège - Sélection de dirhams issus des collections du Musée d'Histoire à Oslo - Photo: Lasse Biørnstad / forskning.noEn sa qualité de spécialiste des monnaies, Svein H. Gullbekk s'est livré à une estimation du nombre de pièces d'argent islamiques en se fondant sur le nombre de dirhams trouvés en Suède et plus à l'Est. "Nous parlons peut-être d'un milliard de dirhams d'argent qui ont afflué vers la Scandinavie et le monde viking entre 800 et 950", a-t-il déclaré, avant d'ajouter en contemplant un plateau répertoriant une infime partie de ceux conservés au Musée d'Histoire culturelle d'Oslo: "Vous voyez ici quelques-unes des forces motrices de l'époque viking".

D'après lui, le désir de rapporter chez soi de l'argent de haute qualité a sans doute poussé les gens à quitter les régions scandinaves. Des décennies de recherches montrent que les Vikings vendaient principalement des fourrures et des esclaves, mais aussi, entre autres choses, du cuir et des bois de renne pour lesquels ils étaient payés en monnaie sonnante et trébuchante. "Les jeunes gens partaient en quête de richesse, et l'argent était l'un des meilleurs moyens d'y parvenir."

Le professeur précise qu'une partie du précieux métal provenait probablement aussi d'Europe, de l'Empire carolingien et d'Europe centrale. "Nous le savons grâce à diverses sources et aux pièces de monnaie."

Néanmoins, les découvertes de pièces provenant d'Europe sont beaucoup plus rares dans notre région du monde. "C'est un mystère dans le monde numismatique", a-t-il confié.

 

Des pièces coupées

L'un des dirhams issu de la collection du musée, découvert en 1936 à Grimestad, dans le comté du Vestfold, provient de la ville de Tachkent en Ouzbékistan et date de la période comprise entre 907 et 914. L'émir Ahmad ibn Ismail régnait alors sur les Samanides, un peuple et un vaste royaume correspondant en partie à l'Iran actuel.

"Il pèse environ deux grammes et demi", précise Svein H. Gullbekk. La pièce est plus lourde que la moyenne et son inscription coufique reste parfaitement lisible.

En l'absence de standardisation des monnaies, c'est le poids et la pureté de l'argent qui faisait sa valeur. "Beaucoup de ces pièces ont été découpées et divisées en petits morceaux, et certaines ont été fondues", explique Gullbekk. 

Les pièces et lingots d'argent divisés en morceaux ajustés au prix des transactions sont appelés hacksilber ("hakkesølv" en norvégien), littéralement "argent coupé".

 

Des lingots entaillés 

Le trésor de Bedale, en Angleterre, découvert par un amateur de détection de métaux en 2012, a récemment fait l'objet d'analyses poussées. Il se compose de bijoux scandinaves, d'une épée anglo-saxonne et de 29 petits lingots d'argent coulé [Lire sur Idavoll: Angleterre - Le trésor viking de Bedale, de l'Orient au Yorkshire du Nord].

Plusieurs des lingots façonnés à des fins monétaires présentent des petites entailles comme autant de traces laissées par les nombreuses mains entre lesquelles ils ont circulé.

"Nous pouvons observer que les Vikings testaient la qualité de l'argent en l'entaillant", souligne Svein H. Gullbekk à propos de ces marques qui se trouvent sur de nombreuses autres artefacts en argent de l'Âge Viking.

Autrement dit, cela permettait de vérifier s'il s'agissait bien d'argent véritable et non d'une habile contrefaçon.

 

Signature chimique et quête des origines

Angleterre - Le trésor de Bedale - Photo: York Museums TrustDes chercheurs britanniques ont examiné la signature chimique de plusieurs types d'argent pour déterminer leur origine et de types de plomb utilisé lors de la production. Le métal précieux peut par exemple provenir soit de mines européennes, soit de mines d'argent qui alimentaient l'énorme production de pièces de monnaie du Califat et d'autres royaumes locaux d'Asie.

Certains métaux ont été réutilisés tellement de fois que leur origine a disparu, ce qui signifie, selon Svein H. Gullbekk, qu'une partie de l'argent pourrait remonter à l'époque où Alexandre le Grand frappait des pièces, au IVème siècle avant notre ère.

Concernant l'argent contenu dans les bijoux et les lingots du trésor de Bedale, les analyses des chercheurs ont permis de répertorier trois sources principales : une bonne partie provient d'Europe, sans doute issue des butins de guerre en Europe occidentale et dans l'Empire carolingien, une part importante des mines d'argent des royaumes islamiques et enfin, une autre d'un mélange des deux premières.

"Si nous parvenons à déterminer la provenance de l'argent contenu dans ces trésors, nous pourrons également obtenir des informations incroyablement intéressantes sur les routes commerciales et sur ce qui était reçu en échange. Il sera ainsi possible de mieux comprendre les mouvements à grande échelle des sociétés", a déclaré avec enthousiasme le numismate.

En outre, il apparaît que des dirhams ont, dans une certaine mesure, servi de matière première pour la fabrication de bijoux.

 

La preuve d'une coulée d'argent

Norvège - Coulée d'argent inachevée avec des dirhams à moitié fondus - Photo: Johnsen, Eirik Irgens et Kirsten HelgelandLes découvertes de l'équipe britannique sur la signature chimique de l'argent islamique donnent à penser que ce métal pourrait être à l'origine de quelques-uns des plus beaux trésors de l'époque viking.

"Nous avons fait une découverte absolument fantastique au marché de Sikringssal", rapporte Gullbekk. Il fait référence à une coulée d'argent inachevée, mise au jour au début des années 2000 dans la très ancienne ville située à l'extérieur de Larvik, en Norvège.

Une poignée de pièces de monnaie islamique à moitié fondues dépassent encore de la pépite. "Nous avons tout simplement la preuve tangible qu'ils fondaient des dirhams. Ils les utilisaient pour la fabrication de bijoux ou la production d'argent", conclut-il.

À l'avenir, de telles analyses pourraient donc permettre de déterminer la provenance de l'argent contenu dans les trésors vikings de Scandinavie.

 

Des recherches à poursuivre

Frans-Arne Stylegar, archéologue chez Multiconsult qui a consacré un article à l'argent islamique sur son blog, estime qu'il était utilisé pour concevoir des bijoux en particulier parce que les Vikings le considéraient comme un métal précieux. "Je pense qu’ils savaient très bien où se trouvait le meilleur argent. Il fallait alors plutôt aller au sud-est, et non en France ou en Angleterre", soutient-il.

Une grande partie des dirhams, ajoute-t-il, ont été obtenus le long des routes commerciales: "Il ne fait aucun doute que les Norvégiens se sont rendus jusqu'à la mer Caspienne pour acquérir ces pièces. À partir de là, l'argent a circulé vers le nord, jusqu'en Russie, en Suède, en partie au Danemark et surtout dans l'est de la Norvège."

Les analyses du trésor de Bedale en Anglerre montrent que peu d'argent islamique a atteint cette région au cours de l'Âge Viking, contrairement à la Norvège où les bijoux ont peut-être été fabriqués avec davantage de dirhams provenant du califat abbasside.

Il reste cependant difficile, d'après l'archéologue, de se faire une idée précise de la répartition des monnaies islamiques mises au jour en Norvège, car les nombreuses découvertes réalisées à l'aide de détecteurs n'ont pas encore été convenablement répertoriées et étudiées.

Source: www.forskning.no (tradution et réécriture / Kernelyd)

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