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Norvège - Le portail nord de la stavkirke d'Urnes, icône patrimoniale du passé et du futur

Un doctorant a étudié l'histoire sur 200 ans de près de 300 reproductions des sculptures du portail nord de la stavkirke d'Urnes, l'une des plus célèbres églises en bois debout de Norvège. Cette profusion d'images, qui interroge et renverse la vision archaïque d'un monument figé dans le temps, révèle une iconicité toute contemporaine.

L'église en bois debout d'Urnes, située dans la municipalité de Luster, est l'un des huit sites norvégiens inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO, en tant qu'exemple d'architecture traditionnelle scandinave en bois d’une valeur universelle exceptionnelle.

La stavkirke construite en 1130 est l'une des plus anciennes églises en bois de Norvège. Mais le portail du côté nord est encore plus ancien; daté de l'année 1070, il a probablement été déplacé d'une église antérieure.

Les sculptures de ce portail, d'une hauteur de 3,5 mètres et d'une profondeur atteignant 10 centimètres, ont trouvé leur place dans un grand nombre de reproductions à diverses fins. Ce sont à ces dernières, de 1826 à nos jours, auxquelles Nick Walkley s'est intéressé dans sa thèse de doctorat à l'École d'Architecture et de Design d'Oslo (AHO), avec pour objectif de comprendre à quelles fins et de quelle manière elles affectent la perception du monument original.

 

Un symbole de loyauté historique

Ukraine - Pièce commémorative avec, à gauche, le motif du portail de stavkirke d'Urnes - Photo: Nick WalkleyEn juillet 2022, la Banque nationale d'Ukraine a émis 30 000 exemplaires d'une pièce commémorative qui évoque l'histoire des liens étroits entre l'Ukraine et la Norvège depuis l'Âge Viking. Elle a été frappée quelques mois seulement après l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie.

L'avers de la pièce est frappé à l'effigie d'Élisabeth de Kiev, qui devint reine de Norvège lorsqu'elle épousa le roi Harald Sigurdsson en 1044. Sur le revers, figurent les ornements stylisés de l'église en bois debout d'Urnes et ceux de son homologue ukrainien.

"Dans cette reproduction, les motifs de la stavkirke d’Urnes ne sont pas seulement utilisés comme symbole national. Ils sont également utilisés pour souligner la loyauté historique entre l’Ukraine et la Norvège dans un conflit international en cours", souligne Nick Walkley.

C'est l'une des histoires liées aux nombreuses reproductions du portail d'Urnes qui étayent sa thèse de doctorat.

 

Près de 300 reproductions

Dans le cadre de ses travaux, Nick Walkley a collecté, analysé et archivé près de 300 images différentes des sculptures du portail nord d'Urnes.

Jusqu'à présent, les historiens de l'art tenaient pour acquis que le peintre paysagiste Johan Christian Dahl avait été le premier à reproduire l'église et son portail en 1837. Mais dans les archives numériques, le doctorant est tombé sur une représentation encore plus ancienne dans un carnet de croquis de 1826. Il s'agit d'une aquarelle de Thomas Fearnley, un élève de Johan Christian Dahl.

Les motifs du portail d'Urnes ont au fil du temps été déclinés en images, en peintures, en photographies, dans des livres, sur des affiches, des illustrations, des timbres, des pièces de monnaie, des passeports norvégiens ou encore des emballages commerciaux, pour ne citer que quelques-uns des nombreux supports répertoriés.

Il ne manquait plus que de tester la capacité de l’Intelligence Artificielle à générer une nouvelle représentation du célèbre portail.

 

Vikings, Whisky & Black Metal

Norvège - Le portail nord de la stavkirke d'Urnes - Photo: Knud Knudsen / Bibliothèque de l'Université de BergenLes centaines de reproductions ont ensuite fait l'objet d'un classement selon différents thèmes. Il en résulte que la plupart des représentations les plus récentes sont liées à l’art viking et que la popularité du style d'Urnes est concomitante du succès d'audience de séries télévisées telles que "Vikings" ou son spin-off.

Si les motifs du portail d'Urnes sont largement utilisés sur les couvertures des livres d'histoire sur les Vikings et d'art de cette époque, ils servent aussi à décorer les bouteilles de whisky d'inspiration viking de la distillerie Highland Park ou à illustrer les pochettes d'album de groupes comme Amon Amarth ("Once Sent From the Golden Hall", premier album studio du groupe) ou Black Sabbath (album "Tyr"). En outre, ils sont très largement repris par les artistes des salons de tatouages, de Barcelone à Bergen.

Avec de telles transformations, le patrimoine culturel acquiert selon Nick Walkley un lien avec de nouvelles idéologies et significations - ce qu'il démontre plus particulièrement par sa cartographie des différents contextes dans lesquels le portail d'Urnes a été reproduit.

Les motifs, utilisés comme propagande politique dans les années 1890 pour établir une culture norvégienne indépendante, ont été réutilisés dans les années 1990 par des groupes de musique Black Metal. Un courant qui s'inscrit dans le cadre de ce que le chroniqueur musical Helge Kaasin appelle une "rage romantique nationale".

 

De l'impact des images les plus récentes

La diffusion et la communication sur le patrimoine culturel relèvent d'une gestion à plus grande échelle, souligne Nick Walkley dans sa thèse. "La protection du patrimoine culturel ne concerne pas seulement le monument-même. Il faut élargir le champ pour prendre en compte la façon dont nous le percevons à travers les images reproduites", soutient-t-il.

Chacune des reproductions a son propre auteur, homme ou femme. Il, ou elle, a recréé une image avec son propre objectif et son propre programme en tête. Dans chaque reproduction se joue donc une nouvelle histoire. "La somme des nombreuses histoires et des nombreux contextes dans lesquels les images sont utilisées contribue à façonner la manière dont nous percevons le monument aujourd’hui", développe le doctorant.

La première reproduction à grande échelle des sculptures de la stavkirke d'Urnes par Dahl a joué un rôle important dans l'établissement de l'église en tant que monument et mémoire collective partagée du passé. Chaque nouvelle image porte en elle sa propre signification et influence la façon dont le monument est perçu.

D'après lui, "les images les plus récentes ont autant d’impact que les plus anciennes."

 

Un monument vivant et poétique

Norvège - Reconstitution de l'église en bois debout d'Urnes de 1070 conçue par Nick Walkley - Image générée par IA: Nick WalkleyL'auteur de la thèse préconise de considérer le portail de l'église d'Urnes, non pas comme un monument figé dans le temps depuis 955 ans, mais comme un objet vivant comparable à un arbre qui évolue et propage constamment, à travers ses nombreuses reproductions, de nouvelles pousses.

C'est pourquoi ses travaux l'ont amené à explorer la manière dont le portail pourrait être reproduit à l'avenir. En s'appuyant sur le projet d'archéologie expérimentale mené par Fortidsminneforeningen (cf. vidéo ci-dessous), il a reconstitué à l'aide de données numériques l'église disparue de 1070. Cette nouvelle illustration, qui montre la fonction architecturale originelle du portail comme entrée de l'église, vient à son tour compléter la collection d'images.

Le XIème siècle fut une période de transition multiculturelle en Norvège, avec une riche culture visuelle. Le magnifique portail d'Urnes constituait probablement l’un des nombreux symboles de prosélytisme pour la nouvelle religion, une déclaration marquante de puissance mêlée à la continuation des anciennes traditions locales.

Il est somme toute question d'une œuvre assez poétique, à la fois complexe et techniquement bien exécutée, où la magie et le mystère trouvent constamment une nouvelle vie, conclut Nick Walkley.

 

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