Angleterre - De la maternité à l'Âge Viking, une recherche inédite
- Le 24/09/2025
- Dans Sciences et Société
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Des chercheurs des Universités de Nottingham et de Leicester ont étudié la maternité à l'époque viking. Loin d'un sujet neutre ou trivial, la grossesse et l'embryon-fœtus englobent selon eux des enjeux sociopolitiques fondamentaux comme en témoignent la représentation de femmes enceintes dans une posture martiale, la privation de liberté de certains enfants avant même leur naissance ou encore l'absence de sépulture pour les mort-nés et enfants en bas âge.
La nouvelle étude interdisciplinaire dirigée par le Dr Marianne Hem Eriksen, professeure associée d’Archéologie à l’Université de Leicester, en collaboration avec le Dr Katherine Marie Olley, professeure adjointe en Études vikings et directrice du Centre d’Étude de l’Âge Viking à la School of English de l’Université de Nottingham, est la toute première recherche consacrée à la grossesse à l'Âge Viking.
Les résultats de leurs travaux, publiés le 13 Mai 2025 dans le Cambridge Archaeological Journal et financés par le Conseil européen de la recherche (ERC), reposent sur l'analyse de différent types de données issues de sources écrites telles que les sagas et textes juridiques, de représentations dans l'art et de traces archéologiques d'inhumation concernant de potentielles victimes de décès obstétricaux (morts de la mère et de l'enfant pendant l'accouchement).
L'un des objectifs annoncés est de "fournir des outils plus larges à l'Archéologie pour repenser les corps et les processus jusqu'ici considérés comme «biologiques», naturels et factuels."
"Il est presque banal de le dire, mais la grossesse est une nécessité absolue pour toutes les formes de reproduction – démographique, sociale, économique et politique. Sans les corps gravides, aucun d'entre nous ne serait là. Des interrogations telles que la question de savoir si un corps enceint est unique ou double, comment fonctionne la parenté ou quand commence la personnalité, ne sont pas dénuées de dimension politique, et il n'est pas nécessaire de chercher bien loin dans notre monde contemporain pour le constater", soutient le Dr Marianne Hem Eriksen.
Une dynamique sociale et politique complexe
Katherine Marie Olley a répertorié les mots, les récits et les textes juridiques en vieux norrois faisant référence à la maternité. "Utiliser des textes en vieux norrois pour éclairer les croyances de l'Âge Viking est difficile, car les manuscrits conservés datent de bien après l'époque viking", souligne-t-elle. "Cependant, il est toujours fascinant de découvrir dans ces sources des mots, des concepts et des souvenirs de grossesse qui pourraient trouver leurs origines dans la période viking antérieure. Parmi les mots nordiques utilisés pour désigner la grossesse, on trouve des termes riches comme 'ventre plein', "éteinte" et "celle qui ne marche pas seule", qui offrent un aperçu de la manière dont les gens pouvaient conceptualiser la grossesse".
Dans l'une des sagas étudiées par le Dr Olley, un enfant à naître se trouve condamné à venger son père, s'inscrivant dès avant sa naissance dans une dynamique sociale et politique complexe faite de liens de parenté, de querelles et de violence.
Dans la saga d’Erik le Rouge, la grossesse de Freydís Eiríksdóttir l'empêche de s'enfuir lors d'une confrontation avec les Skrælings (nom nordique des populations indigènes du Groenland et du Canada) mais, imperturbable, elle saisit une épée, découvre sa poitrine et la frappe contre son sein, effrayant ainsi les assaillants. "Le comportement de Freydís est surprenant, mais il pourrait trouver un parallèle dans la figurine en argent examinée dans le cadre de l'étude, où une femme enceinte, les bras enserrant son ventre proéminent, porte ce qui semble être un casque avec un protège-nez. Bien que nous veillions à ne pas présenter de récits simplistes sur les femmes guerrières enceintes, force est de constater qu'au moins dans l'art et les récits, des idées circulaient sur des femmes enceintes portant un équipement martial. Il ne s'agit pas de corps enceints passifs ou apaisés", relève à tout le moins l'experte.
La petite figurine sous forme de pendentif est la seule représentation connue d'une femme enceinte de l'époque viking. L'objet a été découvert dans une sépulture suédoise du Xème siècle à Aska, où reposait une femme, entourée d'un riche ensemble d'artefacts et d'animaux. Sa sépulture a été interprétée par les archéologues comme étant celle d'une völva, spécialiste des rituels.
Du traitement à part des nourrissons
Cette récente étude vient alimenter les recherches existantes sur le genre, le corps et la sexualité à l'époque viking, mais aussi une discussion plus large sur la manière dont les chercheurs abordent ce qui a été traditionnellement considéré comme des problèmes de femmes, appartenant à la sphère invisible du 'naturel' ou du 'privé'.
Il s'avère que les références à la grossesse sont curieusement absentes des traces archéologiques de l'époque viking. Les auteurs notent que parmi les milliers de sépultures à travers le monde viking, il n'y a que très peu de tombes potentielles de mère et d'enfant de cette période - pas plus de 14 inhumations de ce type répertoriées - quand bien même il s'agit d'une époque où la mortalité obstétricale est considérée comme très élevée. Cela suggère, selon eux, qu'il n'existait pas de tradition chez les anciens scandinaves consistant à enterrer ensemble les mères et leurs bébés bien que cela fut une pratique courante dans d'autres sociétés à peu près à la même époque, comme en Angleterre.
"D'après nos constatations, il ne semble pas qu'ils aient été préoccupés par le fait de garder la mère et l'enfant ensemble après la mort. C'est en soi révélateur. Il semble que les enfants aient été séparés et traités différemment", constate Marianne Hem Eriksen. Des ossements de nourrissons ont été mis au jour par les archéologues dans d'autres lieux, notamment dans des trous de poteaux d'habitations, à l'intérieur des maisons, dans des puits et des fosses, mais on ignore ce qu'il est réellement advenu d'eux, ni s'ils ont bénéficié de rituels funéraires semblables à ceux des adultes.
"Avec des lois selon lesquelles la grossesse est considérée comme un 'défaut' pour la vente d'une esclave, ou des enfants nés de parents asservis appartenant de facto à leurs propriétaires, cela nous rappelle brutalement que la grossesse peut également laisser les corps exposés à l'instabilité, au risque et à l'exploitation", conclut Marianne Hem Eriksen pour qui cette étude montre que la maternité n’était ni invisible ni privée, mais qu’elle jouait un rôle crucial dans la façon dont les sociétés vikings concevaient la vie, les identités sociales et le pouvoir.
- Sources: www.nottingham.ac.uk, www.le.ac.uk, www.forskning.no (traduction et réécriture / Kernelyd)
- Lire l'étude: Womb Politics:The Pregnant Body and Archaeologies of Absence
- En complément sur Idavoll: Les enfants à l'Âge Viking
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