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Suède - Les figurines de l'Âge Viking, de l'art anthropomorphique à l'histoire des corps

Les figurines en métal de l'Âge Viking mises au jour en Suède seraient bien plus que de simples bijoux. Interprétées traditionnellement comme des représentations de personnages issus de la mythologie nordique, de nouvelles analyses ouvrent des perspectives inédites sur leurs fonctions.

Les miniatures en argent ou en bronze des anciens Scandinaves, depuis longtemps présentées comme des amulettes incarnant des valkyries ou des dieux populaires tels que Thor, Freyr et Freya, occupent une place importante dans les débats des archéologues sur les rituels et la religion à l'époque viking.

De plus, ces artefacts livrent une précieuse représentation visuelle sur la manière dont les corps étaient représentés, habillés et perçus, il y a plus de 1000 ans.

Des chercheurs de l'Université de Leicester et du Musée national du Danemark sont allés encore plus loin en examinant dix objets emblématiques de ce type grâce aux techniques avancées d'imagerie numérique pemettant d'explorer les micro-traces de fabrication, d'usure et de manipulation. Les résultats de leurs travaux publiés le 23 Octobre 2025 dans la revue Antiquity lèvent le voile sur la complexité et la diversité des interactions suscitées par les objets anthropomorphes et les corps humains auxquels ils étaient liés. 

"Lorsque les Vikings choisissaient de reproduire un corps humain en miniature de métal, ils ne le faisaient pas de manière neutre, détachée de leurs conceptions contemporaines du corps, des croyances, du genre et de la politique. Les pendentifs et figurines de l’époque viking étaient intimement liés à des univers plus vastes: les voyages pour se procurer de l’argent (dont les objets étaient souvent faits) ; les conceptions vikings du corps, du genre et de la sexualité ; les idées nordiques sur l’autre monde ; les compétences et la technologie de leurs créateurs", a déclaré Marianne Hem Eriksen, auteure principale de l'étude et membre du Musée national du Danemark.

 

Une figurine décapitée

Suède - Les 10 figurines emblématiques de l'art anthropomorphique viking découvertes en Suède - Photos et carte: O. Myrin et K. Eriksen/ Historiska MuseetDans le cadre de l'étude, dix miniatures anthropomorphes issus de l'exposition sur l'Âge Viking du Musée d'Histoire de Suède ont été retenues. Elles comprennent sept figurines en pied dites "valkyries", une figurine phallique en position assise, une tête sans corps et une figurine au ventre proéminent qui, d'après une récente recherche dirigée par Marianne Hem Eriksen, constituerait la seule représentation d'une femme enceinte de l'époque viking [Lire sur Idavoll: De la maternité à l'Âge Viking, une recherche inédite].

En s'affranchissant des idées préconçues concernant leur fonction et leur symbolisme et en se concentrant uniquement sur les traces matétrielles, les chercheurs ont fait de nouvelles découvertes.

"Par exemple, deux des artefacts ont été brisés, et au moins l'un d'eux l'a été délibérément. Nous avons trouvé des traces de percussions sur le pendentif en forme de tête, ce qui signifie que cette figurine a été intentionnellement 'décapitée'. La cassure n'a pas été polie, mais laissée visible, peut-être comme un élément important de l'histoire de l'objet. La décapitation de restes squelettiques humains de l'époque viking est documentée, et nous nous demandons si cette représentation, possiblement mythologique, n'est pas un reflet de la manière dont certains corps humains, de chair et d'os, étaient traités", explique l'auteure principale.

Au total, ce sont quatre types d'interaction qui se dégagent des analyses réalisées par son équipe: une fabrication en plusieurs étapes ; la fixation (à un autre objet) et la circulation ; la casse et la réparation ; et le dépôt dans les sépultures.

 

Des fonctions diversifiées et évolutives

Les traces d'usure sur les figurines dites de "'valkyries' - en référence aux créatures féminines chargées de conduire au Valhalla les guerriers tombés au combat sur le champ de bataille- ont plus particulièrement permis de mettre en exergue une grande diversité de fonctions attribuées à ces pendentifs.

"Certains ont été manipulés et portés de manière intensive, ce qui indique qu'ils ont pu circuler longtemps ou se transmettre de génération en génération comme un héritage. D'autres, en revanche, sont impeccables et semblent n'avoir jamais été portés, ce qui signifie qu'ils ont peut-être été spécialement confectionnés pour les funérailles d'une personne en particulier", souligne le docteur Christina Tsoraki, co-auteure de l'étude et membre de l'École du Patrimoine et de la Culture de l'Université de Leicester.

Sur 3 miniatures (O1, O5 et O9), l'anneau de fixation est cassé et l'un d'entre eux (O9) présente sur sa face inférieure des stries perpendiculaires résultant, selon toute vraissemblance, du frottement contre un autre objet ou matériau. Sur deux autres, l'aplatissement partiel de leur anneau pourrait provenir du fait qu'elles furent fixées à des matériaux rigides comme du métal ou du bois, plutôt que suspendues au contact de matières plus souples comme du tissu ou de la peau.

"Il semble évident que la manière dont les personnes interagissaient avec ces figurines est plus complexe que ne le suggère la catégorie conventionnelle d' 'amulette' ", soutient Brad Marshall, co-auteur et chercheur à l'École d'Archéologie et d'Histoire ancienne de l'Université de Leicester.

 

Fi des récits simplistes

Les résultats des investigations contribuent à dénoncer les présupposés qui semblent orienter les interprétations des archéologues tels que l'hypothèse au long cours selon laquelle, a priori, les figurines de 'valkyrie' étaient les accessoires d'une panoplie religieuse exclusivement portés par des femmes.

"Aucune des sépultures contenant les objets étudiés ici ne présente de restes squelettiques dont le sexe a été formellement déterminé comme étant féminin ; deux sépultures ont été identifiées comme telles sur la base de l'analyse du mobilier funéraire (une méthode qui comporte ses propres biais). Par ailleurs, la figurine O7, une 'valkyrie' dorée, a été découverte avec des restes humains dont le sexe, ostéologiquement et génétiquement, a été déterminé comme étant masculin", rapportent les auteurs.

Par ailleurs, des dessins originaux de la fouille d'une sépulture de Birka, au début du XXème siècle, montrent la découverte de la miniature O5 fixée à un autre objet en argent interprété comme un reliquaire, sans doute chrétien. Cette combinaison des anciens symboles religieux préchrétien et chrétien vient à la fois nuancer la compréhension des chercheurs et démontrer là encore, écrivent-ils, l'intérêt de prendre du recul et d'interroger les objets mis au jour différemment, sans les contraindre à entrer dans des catégories préétablies.

"Les récits simplistes concernant les amulettes religieuses nordiques ne rendent pas pleinement compte de la complexité de leur fabrication, de leur manipulation et de leur utilisation. En explorant plus en profondeur les interactions entre ces objets, leurs créateurs et leurs utilisateurs, nous voyons émerger de nouvelles histoires fascinantes issues de l'art viking", conclut Marianne Hem Eriksen.

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