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Suède - De nouvelles perspectives sur les itinéraires maritimes de l'Âge Viking grâce à la navigation expérimentale

L'archéologue Greer Jarrett, de l'Université de Lund, en Suède, navigue depuis trois ans sur les traces des Vikings. Dans sa dernière étude, il a découvert des traces d'un réseau décentralisé de ports, situés sur des îles et des péninsules, qui ont probablement joué un rôle central dans le commerce et les voyages à l'époque viking.

Entre septembre 2021 et juillet 2022, Greer Jarrett a participé à quinze essais de navigation à bord de sept bateaux différents, tous semblables aux bateaux utilisés à l'époque viking, dont six construits dans la tradition d'Åfjord et un bateau traditionnel à clins de Nordmøre. Puis, entre avril et juin 2022, deux voyages d'environ trois semaines chacun ont été effectués: un aller-retour vers le Nord, de Rissa (comté du Trøndelag) à Henningsvær (archipel des Lofoten) à bord d'un fembøring, et en direction du sud un aller simple de Rissa à Bergen à bord d'un faering.

Les résultats de ses recherches, publiés le 8 mai dans le Journal of Archaeological Method and Theory, montrent que les probables itinéraires empruntés par les Vikings les ont conduits plus loin des terres que ce qui était admis jusqu'à présent. "Je peux démontrer que ce type de bateau navigue bien en eau libre, dans des conditions difficiles. Mais naviguer près des terres et dans les fjords présente parfois des défis tout aussi grands, bien que moins évidents. Par exemple, les courants sous-marins et les vents catabatiques qui soufflent des pentes des montagnes", a déclaré le doctorant en Archéologie.

L'utilisation combinée de l'Archéologie expérimentale, de l'Ethnologie maritime et de la reconstruction numérique de paysages marins, lui a permis d'identifier le long de la côte norvégienne quatre ports jusqu'alors inconnus, utilisés par les Vikings il y a plus de 1000 ans.

 

À la rencontre des marins norvégiens

Suède - Greer Jarrett à bord d'un bateau à clins semblable à ceux utilisés par les Vikings -  Photo Université de LundAu total, Greer Jarrett et son équipe ont parcouru près de 2770 km (1494 milles nautiques), testant les capacités des bateaux en haute mer, en naviguant notamment sur le Kattegat et la mer Baltique, à des fins de comparaison. Malgré l'absence de quille à fort tirant d'eau, le bateau s'est avéré étonnamment stable lors de cette expérience.

Puis, le chercheur a interrogé des marins et des pêcheurs au sujet des routes traditionnement empruntées au XIXème et au début du XXème siècle, lorsque les voiliers sans moteurs étaient encore courants en Norvège. "J'ai utilisé l'expérience de mes propres voyages et le savoir traditionnel des marins pour reconstituer d'éventuelles routes de navigation à l'époque viking",  a-t-il expliqué.

Enfin, les connaissances expérimentales et les données des essais ont été combinées à des reconstructions numériques de la topographie côtière du Norðvegr de l'Âge Viking pour évaluer plus précisément les itinéraires et les refuges potentiels.

 

Un paysage côtier chargé d'histoires

Les Vikings ne naviguaient pas à l'aide de cartes, de boussoles ou de sextants. Ils avaient plutôt recours à des "cartes mentales" où les souvenirs et les expériences jouaient un rôle crucial, de même que les mythes liés à divers points de repère côtiers.

Parmi les exemples cités par l'auteur de l'étude, les récits remontant à cette époque sur les îles de Torghatten, Hestmona et Skrova, au large des côtes norvégiennes. Ils rappellent aux marins les dangers qui entourent ces lieux ou leur importance en tant que repères de navigation.

Ces mythes préservés sont les derniers vestiges de ce qui devait être autrefois un paysage chargé d'histoires. Greer Jarrett appelle cela un "paysage maritime culturel". Petits îlots, récifs et rochers faisaient partie d'un réseau d'histoires qui aidaient les Vikings à naviguer dans ce paysage et se sont transmises entre marins de génération en génération.

 

Localisation de potentiels ports vikings

Le Norðvegr, avec le tracé des 2 voyages de Greer Jarrett et en bleu, le couloir de navigation traditionnel appelé 'leið' - Carte: Journal of Archaeological Method and TheoryGrâce à la combinaison de son expérience directe des caractéristiques des bateaux et d'une reconstruction numérique de ce à quoi ressemblait le paysage à l'époque viking, le doctorant a identifié quatre ports vikings possibles le long du Norðvegr, la côte ouest norvégienne, dont les emplacements se révèlent être plus éloignés en mer que les principaux ports et carrefours connus à ce jour.

"Avec ce type de bateau, il est facile d'entrer et de sortir d'un port, quelles que soient les conditions de vent. Plusieurs voies d'entrée et de sortie doivent être possibles. Les baies peu profondes ne posent aucun problème grâce au faible tirant d'eau des bateaux. Remonter les fjords étroits, en revanche, est délicat. Il est difficile de naviguer face au vent avec un gréement carré, et les bateaux sont sensibles aux vents catabatiques.", argue Greer Jarrett.

D'après lui, il devait y avoir à l'époque viking une abondance de petits ports facilement accessibles, des lieux où les marins pouvaient faire une halte, se reposer et rencontrer d'autres marins. 

"La plupart du temps, nous ne connaissons que les points de départ et d'arrivée du commerce à l'époque viking. Il s'agissait de grands ports, comme Bergen et Trondheim en Norvège, Ribe au Danemark et Dublin en Irlande. Ce qui m'intéresse, c'est ce qui se passait lors des voyages entre ces grands centres commerciaux. Mon hypothèse est que ce réseau décentralisé de ports, situés sur de petites îles et péninsules, jouait un rôle essentiel dans l'efficacité du commerce à l'époque viking", conclut-il.

 

De l'importance de l'équipage

Les voyages expérimentaux de Greer Jarrett ont parfois mis à rude épreuve l'équipage qui a dû improviser, comme au retour des Lofoten en mai 2022, quand la vergue qui soutenait la grand-voile s'est brisée. L'accident s'est produit alors que le navire se trouvait à 25 kilomètres au large des côtes norvégiennes, au milieu du Vestfjord.

"Le froid des îles Lofoten fut un véritable défi. Nos mains ont vraiment souffert. C'est à ce moment-là que j'ai réalisé à quel point il est crucial d'avoir un bon équipage", confie-t-il. "Nous avons dû attacher deux rames ensemble pour maintenir la voile, en espérant qu'elles tiennent. Nous sommes rentrés au port sains et saufs, mais il nous a fallu passer plusieurs jours à réparer le bateau avant de pouvoir repartir".

"Lors d’un autre voyage, un petit rorqual a soudainement fait surface, battant son énorme nageoire caudale à quelques mètres du bateau", a-t-il ajouté.

Son travail de recherche met également en évidence l’importance des relations humaines au sein d'un équipage naviguant à la manière viking. "Il faut un bateau capable de résister à toutes les conditions météorologiques. Mais sans un équipage capable de coopérer et de supporter les autres pendant de longues périodes, ces voyages se seraient probablement avérés impossibles."

Jusqu'à présent, aucune fouille n'a été programmée dans les ports identifiés par Greer Jarrett. Cependant, la présence de vestiges tels que des jetées, des pierres de ballast, des foyers de cuisson et des abris temporaires, s'ils étaient découverts sur les sites, démontreraient selon lui que les Vikings utilisaient ces havres sur leurs routes commerciales.

 

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