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Pologne - Jomsborg, la légendaire forteresse viking, enfin localisée?

Des traces d'un rempart viking du Xème siècle ont été découvertes par un archéologue polonais sur la Colline des Pendus, au sud de Wolin. Il pourrait s'agir de la mythique forteresse de Jomsborg où le roi Harald à la Dent bleue mourut en 985.

Lorsque les pouvoirs publics locaux ont décidé de construire une tour d'observation au sommet d'une butte sablonneuse au sud de la ville de Wolin, sur l'île de la mer Baltique du même nom, une campagne de fouilles préventives a été diligentée en 2021 par la ville, en lien avec le Musée d'Archéologie de Wolin, afin de rechercher des artefacts témoins du passé macabre bien connu de l'endroit.

Wzgórze Wisielców, qui signifie littéralement "la Colline des Pendus" en polonais, fut d'abord un cimetière au VIIIème siècle, avant de devenir au Moyen Âge, et jusqu'au XVIIIème siècle, le lieu où se tenaient les exécutions publiques. Il en est même qui affirment que des sacrifices humains y étaient pratiqués.

 

Pologne - Wojciech Filipowiak, devant les traces calcinées d'un rempart du Xème siècle a peut-être localisé Jomsborg - Photo: Laboratoire Archéologique de WolinMais au-delà des vestiges de diverses sépultures, les investigations dirigées par Wojciech Filipowiak, archéologue et professeur à l'Institut d'Archéologie et d'Ethnologie de l'Académie des Sciences de Pologne, ont surtout révélé les traces calcinées de structures en bois qui, d'après lui, correspondent à celles d'un rempart incendié datant du Xème siècle.

Cet ancien rempart pourrait résoudre l'une des grandes énigmes de l'Âge Viking, à savoir l'emplacement de la ville fortifiée de Jomsborg qui, selon la Saga des rois de Norvège (la Heimskringla), fut détruite par le roi norvégien Magnus le Bon (1024-1047) au cours d'un incendie en 1043.

 

Fantasme littéraire ou réalité historique?

Il est admis depuis longtemps que les anciens Scandinaves ont créé des avant-postes et des comptoirs il y a plus d'un millénaire sur la côte baltique. L'existence et l'emplacement de la plus grande colonie viking dans cette région, sur le littoral de la Pologne, restent néanmoins très discutés.

Certains érudits pensent encore aujourd'hui que la ville fortifiée mentionnée dans les sagas nordiques sous le nom de Jómsborg, bastion militaire d'un ordre de mercenaires connus sous le nom de Jomsvikings, pourrait n'être qu'une légende transmise et brodée à travers les âges.

Depuis 1828, la ville de Wolin et ses environs font l'objet d'investigations incessantes. D'importantes recherches furent notamment menées par l'Institut d'Archéologie et d'Ethnologie polonais dans les années 1950, auxquelles le grand-père de Wojciech Filipowiak, lui-même archéologue, prit part en son temps. Les récentes découvertes de son petit-fils, à l'œuvre sur place depuis 11 ans, sont désormais susceptibles de faire taire les plus sceptiques. 

 

Wolin, une destination pour les amateurs et experts des Vikings

L'intérêt pour les Vikings, autrefois largement confiné à un domaine d'étude universitaire de niche, s'est accru ces dernières années grâce à la diffusion grand public de séries télévisées, de films, de romans graphiques et de jeux vidéo mettant en scène - avec plus ou moins d'historicité - la vie, les croyances et les exploits des anciens Scandinaves. 

L'Âge Viking, ou du moins une représentation approximative, parfois grossière de celui-ci, est dorénavant devenu un thème incontournable de la culture populaire. C'est une bonne nouvelle pour l'industrie touristique de Wolin, de la ville comme du district insulaire plus large du même nom, se félicite Ewa Grzybowska, maire de Wolin.

A contrario, elle déplore que beaucoup de visiteurs préfèrent se rendre dans une station balnéaire voisine. Davantage d'argent serait nécessaire, selon elle, pour effectuer des fouilles et développer Wolin en tant que destination pour les amateurs comme pour les experts des Vikings du monde entier. "Où que vous alliez ici, il y a un morceau d'histoire", a-t-elle déclaré au New York Times. Une histoire cependant mouvementée, sujette à de nombreuses discordes.

 

Des recherches au nord de la ville par les Allemands

Dans les années 1930, les Allemands ont investigué cette région, qui leur a appartenu jusqu'en 1945, à la recherche de preuves de la présence des Vikings; ceci afin de soutenir l'idéologie nazie de l'ascendance scandinave du peuple aryen et de démontrer la supériorité de la race nordique, ainsi que sa domination millénaire sur les peuples slaves indigènes fédérés plus tard sous une seule et même identité, les Polonais.

Les fouilles allemandes se sont concentrées sur le centre ville de Wolin et une autre colline de l'île, Srebrna Góra, au nord de la ville, où il y avait au début du Moyen Âge un emporium actif, nommé indifféremment Jumme, Jumneta, Juminem, Vimne, Vineta ou encore Julin dans les chroniques saxonnes et Jómsborg dans les sources en vieux norrois. Des toponymes qui désigneraient tous, d'après les travaux en 1931-32 de l'historien poméranien Adolf Hofmeister, un seul et même endroit non loin de l'actuelle ville de Wolin.

"Or Wolin a été fondée par des Slaves au VIIIème siècle, deux siècles avant la création de Jomsborg. Les artefacts retrouvés par les Allemands ne correspondaient pas à leurs attentes. Les poteries vikings sont moins raffinées que la céramique slave à cette époque", a expliqué Wojciech Filipowiak dans un entretien avec Le Point.

 

Slaves VS Vikings

Lorsque la Pologne a pris le contrôle de Wolin après la Seconde Guerre mondiale, les archéologues polonais ont recherché à leur tour des artefacts capables de faire oublier l'emprise prussienne sur la terre de leurs ancêtres et de renforcer le sentiment d'identité nationale.

Les écoles de Wolin ont organisé des reconstitutions des invasions vikings de la côte baltique de la Pologne et, pendant des décennies après la Seconde Guerre mondiale, "la plupart des enfants voulaient incarner des Slaves défendant l'île", a déclaré Karolina Kokora, directrice du Musée d'Histoire de Wolin au New York Times.

Cela a changé quand la Pologne a abandonné le communisme et a commencé à se tourner vers l'Ouest, loin de la Russie et de l'accent mis sur la fierté slave. "Après 1989, tout le monde voulait être un Viking", se souvient la directrice.

 

La tombe du roi Harald à la Dent bleue au cœur d'une polémique

Pologne - Le  tumulus découvert sous l'église de Wiejkowo par Marek Kryda grâce aux images satellites - Photo: geoportal.gov.plCe regain d'intérêt du public pour les Vikings est également à l'origine d'une augmentation des recherches historiques par des amateurs. Parmi eux se trouve Marek Kryda, un historien amateur polono-américain, auteur en 2019 d'un livre polémique dénonçant l'archéologie polonaise comme un marécage de chauvinisme ethnique, aveugle la plupart du temps quant au rôle joué par les Vikings dans la formation précoce de la Pologne.

En 2022, Marek Kryda a déclenché une tumultueuse controverse en Pologne lorsqu'il a annoncé qu'il avait localisé l'emplacement probable de la tombe du roi danois Harald à la Dent bleue. [Lire sur Idavoll: La tombe du roi Harald à la Dent Bleue a-t-elle été découverte à Wiejkowo?]

Faisant fi du consensus parmi les historiens, selon lequel la dépouille du roi (décédé à Jomsborg en Novembre 985) a été rapatriée au Danemark pour y être enterrée, l'historien amateur a expliqué avoir détecté, grâce à l'imagerie par satellite, le tumulus funéraire de Harald Ier dans un petit village à l'intérieur des terres, à Wiejkowo, non loin de Wolin.

Si la maire de Wolin reconnait volontiers ne pas être qualifiée pour trancher la question, elle ne manquerait pas de se réjouir que la sépulture de ce célèbre roi de l'Âge Viking puisse réellement se trouver dans son district. Toutefois, le Dr Wojciech Filipowiak a qualifié la démarche de Marek Kryda de "pseudoscience" et son assertion de "simple hypothèse", car aucune tombe n'a été trouvée à ce jour. 

 

Un "New York médiéval sur la Baltique"

De nos jours, Wolin possède un village slave et viking, composé de maisons en bois au toit de chaume, et une pierre gravée de runes où le texte bilingue, en polonais et en danois, mentionne la mort en ce lieu de Harald à la Dent bleue. Il ne s'agit là que de contrefaçons modernes visant à représenter un lointain passé viking, difficile à cerner malgré des décénnies de fouilles archéologiques à la recherche de Jomsborg.

Karolina Kokora, la directrice du musée, décrit la colonnie du Xème siècle comme un "New York médiéval sur la Baltique", un comptoir viking avec une population de plusieurs milliers d'habitants et une grande mixité sociale, qui a mystérieusement disparu de la carte en ne laissant que dans les textes anciens que quelques traces ténues de son existence.

"Jomsborg était un important bastion avancé de ce peuple nordique, en Europe continentale, au Xème siècle. Ce comptoir commercial, établi par les Scandinaves, était une place d'échange de fourrures, de viande, de sel, d'ambre, mais aussi d'esclaves capturés à l'intérieur des terres. La population de Jomsborg était importante pour l'époque puisque la localité comptait autour de 6000 habitants. Elle était aussi cosmopolite: en dehors des Vikings, des Slaves, vivaient aussi sur place des Russes et des Saxons", confirme Wojciech Filipowiak dans son entretien avec Le Point.

Les sources médiévales décrivent notamment un port fortifié, équipé d'armes défensives, pouvant accueillir jusqu'à 360 navires. Et des témoignages de la réduction en esclavage de Slaves et de leur commercialisation ont aussi été retrouvés à des milliers de kilomètres, jusqu'au Maroc.

 

Candidate au patrimoine mondial de l'UNESCO?

Certaines parties de la Colline des Pendus avaient déjà fait l'objet de recherches avant que Wojciech Filipowiak ne commence des fouilles préventives, mais elles se trouvaient en dehors de la zone concernée par l'actuel projet de construction. 

Sa découverte fortuite de ce qu'il pense être une partie des remparts de Jomsborg nécessite encore, selon lui, une analyse approfondie et une datation plus précise par le carbone 14. L'archéologue, qui a communiqué ses conclusions lors d'un colloque fin 2022, estime cependant à 80% la certitude qu'il s'agit d'un vestige de la mythique forteresse. Jomsborg n'aurait donc pas été fondée à Wolin comme les historiens le croyaient jusque-là, mais à côté.

Wojciech Filipowiak espère pouvoir "aider à mettre fin" à l'interminable débat sur l'existence et l'emplacement de Jomsborg. Pour ce faire, il envisage une nouvelle campagne de fouilles en 2024 avec l'Institut d'Archéologie et d'Ethnologie de Pologne où il travaille, sous l'égide de l'Académie des Sciences. Le projet a d'ores et déjà remporté le soutien de Karolina Kookora du Musée régional de Wolin, de la maire Ewa Grzybowska, ainsi que de l'ambasseur du Danemark en Pologne, M. Ole Toft, de l'Université danoise d'Aarhus et en particulier du professeur Søren Sindbaek.

De quoi alimenter une candidature au patrimoine mondial de l'UNESCO. "Nous voudrions pouvoir faire inscrire Wolin sur la liste des sites patrimoniaux de l'UNESCO. Par ailleurs, Karolina Kokora, directrice du musée viking, qui travaille activement à nos côtés, souhaite pouvoir agrandir ses espaces afin d'exposer nos découvertes. Cette actualité va donner un lustre particulier à l'édition 2023 du festival viking qui se tiendra cet été", conclut Wojciech Filipowiak dans son entretien avec Le Point.

 

Ci-dessous une conférence du Dr. Wojciech Filipowiak intitulée Wolin - Une république du début du Moyen Âge (Avril 2022)

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