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Canada - Le séjour des Vikings à L'Anse aux Meadows en 1021 scientifiquement prouvé par les cernes du bois qu'ils ont coupé

Une équipe internationale de chercheurs a utilisé les données fournies par les cernes des arbres coupés par les Vikings pour dater de manière scientifique le site de L'Anse aux Meadows, à Terre-Neuve. D'après leurs résultats, ce lieu historique inscrit depuis le 8 Septembre 1978 au patrimoine mondial de l'UNESCO, fête précisément cette année ces 1000 ans d'existence. 

L'anse aux Meadows est situé à l'extrême nord de l'île de Terre-Neuve, au Canada. C'est là, sur une colline surplombant la mer, que les explorateurs vikings venus des colonies du Groenland firent le choix de s'établir. Ils y ont construit des maisons, des hangars à bateaux et des ateliers comme en témoignent les divers outils découverts par les archéologues.

 

La première datation scientifique

Canada - Reconstitution d'après les fouilles archéologiques du site viking de L'Anse aux Meadows où les Vikings ont séjourné en 1021 - Photo: Russ Heinl / Getty imageLe site, où subsistent les fondations de 8 bâtiments avec des charpentes de bois, a été trouvé par l'aventurier norvégien Helge Ingstad et sa femme Anne Stine Ingstad. Cette dernière, archéologue de profession, a elle-même supervisé les fouilles entre 1961 et 1968. Les vestiges et les artefacts mis au jour avaient alors rapidement confirmé l'origine nordique de leur conception.

Les historiens ont longtemps supposé que L'anse aux Meadows avait été occupé autour de l'an 1000 et peut-être dès les années 990. Outre les artefacts, cette datation se basait principalement sur des estimations élaborées à partir des sagas islandaises telles que, par exemple, la saga d'Eirik le Rouge et son récit du voyage de Leif Eirikson, a rappelé Dagfinn Skre. Professeur d'Archéologie au Musée d'Histoire culturelle à Oslo et spécialiste de l'Âge du Fer et de l'Âge Viking, il s'est particulièrement intéressé à l'histoire de la colonisation.

Mais à présent, une équipe composée de chercheurs canadiens, néerlandais et allemands est parvenue à établir scientifiquement une datation très précise de la présence des premiers colons scandinaves au Nouveau-monde. Les résultats de leur recherche ont été publiés le 20 Octobre 2021 dans la revue scientifique Nature.

 

Une nouvelle approche méthodologique

Bien que cela fasse plusieurs décennies que la colonie est identifiée, les précédentes tentatives pour dater les vestiges des constructions ont révélé de grandes lacunes en raison de méthodes obsolètes ou de mauvaises conditions.

Alors que tout indique une occupation brève et sporadique du lieu, les datations traditionnelles par le carbone 14 réalisées au siècle dernier étaient si imprécises qu'elles s'étendaient sur plus de 250 ans.

Les chercheurs sous l'égide de Margot Kuitems et Michael Dee, respectivement archéologue et professeur de chronologie isotopique au Centre de Recherche isotopique de l'Université néerlandaise de Groningue, ont opté pour une nouvelle approche avec une méthode originale.

La Terre est soumise en permanence à des rayonnements cosmiques, "qui produisent continuellement du carbone 14 (une forme plus lourde et beaucoup plus rare que l'atome de carbone) dans la haute atmosphère", a expliqué Margot Kuitems, l'auteure principale de l'étude. "Cette forme de carbone va entrer dans le cycle du carbone, qui est absorbé par les plantes avec la photosynthèse."

Parfois, lors d'éruptions solaires par exemple, le rayonnement devient beaucoup plus puissant: ces sursauts cosmiques se trouvent ainsi à l'origine d'une brusque élévation du taux de carbone 14 dans l'atmosphère.

 

Tempête solaire et carbone 14

Une étude japonaise a isolé deux événements de ce genre, en 775 et en 993, dont la trace subsiste dans des arbres dont l'âge était bien connu. La marque de l'augmentation brutale du carbone 14 se retrouvait aux dates en question dans leurs cernes, ces anneaux de croissance que l'on observe sur un tronc coupé et qui aident à déterminer l'âge de l'arbre.

Canada - Les croix marquent l'emplacement des prélèvements d'échantillons de bois de L'Anse aux Meadows. À droite les cernes au microscope - Photos: Margot Kuitems et Petra DoeveL'équipe de Margot Kuitems a donc cherché, à l'aide d'un spectromètre de masse, la trace de la tempête solaire de 993 dans 4 échantillons de morceaux de bois prélevés sur le site de L'Anse aux Meadows. Les échantillons ont été soigneusement sélectionnés avec l'aide des experts de l'agence Parks Canada, en fonction de leur emplacement sur le site et du fait qu'ils avaient tous été travaillés avec des haches, des outils en fer inconnus des habitants autochtones de l'époque. "Il n'y avait aucune raison pour eux de ramasser [du bois au sol] et de le couper, plutôt que de simplement abattre un tout nouvel arbre plus solide" a indiqué Michael Dee.

"Lorsque nous avons mesuré la concentration en carbone 14 dans une série de cernes, nous avons trouvé une brusque élévation sur l'un d'eux [le 29ème anneau de croissance], certains ainsi qu'il correspondait à l'année 993", a exposé Margot Kuitems. Il leur a suffi ensuite de compter le nombre de cernes entre le cerne marqué par la tempête solaire et le dernier situé avant l'écorce pour déterminer la date à laquelle le bois avait été coupé. Réponse: l'an 1021

Trois des quatre échantillons de bois examinés par les chercheurs indiquent que les arbres ont été abattus cette année-là. Les scientifiques ont même été en capacité de préciser pour deux d'entre eux que l'un appartenait à un arbre coupé au printemps, et l'autre à la fin de l'été ou au début de l'automne. "Les Scandinaves étaient peut-être sur le site un peu plus tôt, mais ils étaient certainement là et abattaient des arbres en 1021", écrivent Dee, Kuitems et leurs collègues.

"Il est très peu probable qu'ils [les échantillons de bois] aient le même âge par hasard", convient Lukas Wacker, un physicien qui étudie les datations au radiocarbone au Laboratoire de Physique des faisceaux ioniques de l'ETH de Zurich et juge les résultats de cette nouvelle recherche convaincants.

 

En l'an 1021

"La précision est étonnante", a déclaré Rachel Wood, chercheuse à l'Université nationale australienne qui n'a pas participé à la nouvelle étude. "L'idée d'utiliser ces fortes fluctuations à court terme du radiocarbone (…) existe depuis quelques années, mais c'est formidable de voir réellement cela utilisé pour dater un site archéologique important."

Cette nouvelle étude apporte la confirmation scientifique de l'établissement d'une colonie scandinave à l'Anse aux Meadows et d'une occupation du site en l'an 1021, résume Dagfinn Skre. Mais d'après lui, cette datation assez proche en réalité des estimations précédentes basées sur les récits des sagas, soit "un peu avant ou un peu après l'an 1000", n'a pas de conséquences majeures sur la compréhension de la chronologie de l'Âge Viking.

Le professeur n'a pas participé aux travaux, mais il a été impliqué dans l'examen de la publication par ses pairs en tant que chercheur indépendant. Cela signifie qu'il a soigneusement examiné les faits et les interprétations des auteurs avant la publication des résultats. "Les spécialistes des sagas ont cru que la colonie du Vinland existait depuis quelques années vers l'an 1000, et 1021 se trouve un peu à la limite de la période que l'on peut déduire des sagas. Mais personne ne pense vraiment que les sagas rapportent tous les voyages entre le Groenland et le Vinland."

La saga qui décrit le voyage de Leif Erikson a en effet été écrite au XIIIème siècle, soit plusieurs centaines d'années après ce qui s'est réellement passé, et d'après des histoires qui se sont transmises oralement. Mais si la date de 1021 correspond à peu près aux récits historiques, "cela pose la question de savoir dans quelle mesure le reste des aventures de la saga est vrai", relève Michael Dee.

 

Combien de temps sont-ils restés?

En s'appuyant sur les récits de deux sagas différentes, les chercheurs ont calculé que la colonie pourrait avoir duré entre 3 et 13 ans et que L'Anse aux Meadows aurait pu accueillir un temps donné près d'une centaine de personnes. Mais ces estimations restent incertaines.

"La nouvelle datation ne dit rien sur la durée de la colonie avant et peut-être après 1021, seulement qu'ils étaient là cette année-là", relativise Dagfinn Skre pour qui il n'est même pas certain que les Vikings aient passé les hivers sur place. Il est en effet possible, contrairement à ce que donnent à entendre les sagas, que le site n'ait été occupé que pendant l'été par ceux qui vivaient le reste de l'année au Groenland.  

Il n'en reste pas moins qu'en l'absence de toute autre découverte d'une colonie viking avec des vestiges d'habitations, L'Anse aux Meadows passe pour être le fameux 'avant-poste' de Leif Eirikson décrit dans les textes, soit la première colonie européenne au Nouveau Monde. "C'est devenu tellement simple avec tant de technologies différentes qu'il est difficile de croire qu'une autre ferme n'ait pas été encore découverte. L'endroit correspond également bien aux descriptions de la saga",  a fait valoir le professeur d'Archéologie.

Les chercheurs, quant à eux, espèrent poursuivre leurs travaux afin de dater d'autres artefacts de L'Anse aux Meadows, ce qui pourrait leur permettre de déterminer au plus près la durée pendant laquelle les Scandinaves sont restés sur le site. Michael Dee a confirmé qu'ils aimeraient aussi dater des matériaux provenant de plusieurs autres endroits en Amérique du Nord susceptibles d'être des sites vikings malgré le manque de preuves apparentes jusqu'à présent.

En attendant, cette datation d'une redoutable précision pourrait déjà aider les historiens et les archéologues à mieux comprendre comment L'Anse aux Meadows s'intègre dans la chronologie plus large de l'Âge Viking. "C'est une question de recherche future sur le lien entre l'année 1021 de notre ère et l'activité transatlantique globale des Scandinaves", ont conclu les auteurs.

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