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Angleterre - Le supplice de l'aigle de sang ne serait pas qu'une légende viking

L'historicité du supplice appelé "l'aigle de sang" a été maintes fois remise en cause. Mais une récente étude menée par un historien et des scientifiques anglais démontre que ce mode d'exécution n'était pas anatomiquement impossible et qu'il aurait parfaitement pu être réalisé à l'aide d'armes utilisées par les Vikings.

Bien que les modalités de son exécution varient selon les sources écrites, cette mise à mort désignée sous le terme blóðǫrn en vieux norrois, consistait à inciser le dos du supplicié et à détacher les côtes de la colonne vertébrale afin de retirer les poumons de la cage thoracique et de les déployer de chaque côté, comme les ailes d'un aigle. 

 

Sept récits en prose et deux récits poétiques en vieux norrois et en latin des XIème, XIIème et XIIIème siècles mentionnent une telle pratique et l'exécution par ce moyen de 4 hommes puissants: Halfdán Háleggr (fils du roi de Norvège Harald à la Belle Chevelure), le roi Ælla de Northumbrie, Lyngvi Hundingsson et Brúsi de Sauðey.

Dans un seul de ces récits, la saga Orkneyingar, le blóðǫrn apparaît comme une forme de sacrifice humain rattaché au culte du dieu Odin. "S'il ne fait aucun doute que l'aigle de sang, s'il a jamais été pratiqué historiquement, était un événement hautement ritualisé (...), il est à noter qu'aucun des huit autres récits ne traduit un lien explicite avec la religion préchrétienne", précisent les auteurs.

Luke John Murphy, chercheur postdoctoral à l'Université de Leicester, Heidi R. Fuller, maître de conférences à l'École de Pharmacie et de Bio-Ingénierie de l'Université Keele, Peter LT Willan, ancien professeur d'anatomie et actuellement professeur-assistant à l'Université Keele et Monte A. Gates, maître de conférences à la Faculté de Médecine et à la Faculté de Pharmacie et de Bio-Ingénierie de l'Université Keele présentent les résultats de leur recherche dans le numéro à paraître en Janvier 2022 de la revue américaine Speculum, publiée par l’Université de Chicago au nom de la Medieval Academy of America.

 

Un sujet sensationnaliste et controversé

Vue du thorax avec 2 versions de fractures des côtes dans l'exécution du supplice de l'aigle de sang - Illustration: 3D4Medical - Luke John Murphy /Université d'IslandeRécemment, la série télévisée "Vikings", le jeu vidéo "Assassins Creed: Valhalla" ou bien encore le film d'horreur suédois "Midsommar" en 2019, ont mis en scène des représentations modernes de ce rituel sanglant. Néanmoins, pendant des décennies, ce supplice s'est vu relégué au rang d'une légende par les historiens. 

Aucune preuve archéologique d'une telle torture sur des squelettes n'a jamais été trouvée, et les Vikings eux-mêmes n'ont laissé aucune trace. Le blóðǫrn n'est connu que par les transcriptions des récits poétiques et des sagas, rédigés pour la première fois des siècles après la fin de l'Âge Viking, sans qu'il y ait vraiment de consensus sur sa mise en oeuvre. A minima,  il y a "au moins un siècle entre tout aigle de sang historique potentiel et la source qui le décrit", soulignent les chercheurs.

L'absence ou le manque de détails anatomiques dans près de la moitié des sources écrites qui évoquent l'aigle de sang ont convaincu les historiens qu'une telle pratique était pour le moins improbable. D'après les études antérieures, elle serait le résultat de la répétition d'incompréhensions générées par la complexité de la poésie d'alors et de la volonté de la part des chroniqueurs chrétiens de dépeindre, à grand renfort de détails aussi sanguinolents que fictifs, leurs ennemis comme des païens barbares.

Les chercheurs ont donc opté pour une toute nouvelle approche. "Les études antérieures sur le sujet ont eu tendance à se concentrer sur les détails et la fiabilité des descriptions médiévales existantes de l'aigle de sang, plaidant pour ou contre l'historicité du rituel. Ce qui n'a pas encore été pris en compte, ce sont les limites anatomiques et socioculturelles dans lesquelles tout 'aigle de sang' devait être exécuté", annoncent-ils en préambule de leur étude .

 

Anatomiquement possible

En utilisant les connaissances modernes de l'anatomie et de la physiologie, ainsi qu'en procédant à une réévaluation minutieuse des 9 récits médiévaux du rituel, les chercheurs ont étudié quel effet un aigle de sang aurait eu sur le corps humain. Ce qu'ils ont découvert, c'est que l'opération en tant que telle devait s'avérer délicate mais qu'elle était loin d'être impossible à réaliser, même avec les moyens de l'époque.

Ils soupçonnent qu'un type particulier de fer de lance viking, équipé d'ergots, aurait pu être utilisé comme outil de fortune pour promptement "dégrafer" la cage thoracique par le dos. Une telle arme pourrait même figurer, selon eux, sur un monument de l'île suédoise de Gotland, la pierre historiée de Stora Hammars I, près de Lärbro, où l'une des scènes gravées semble représenter une exécution, sans toutefois pouvoir affirmer qu'il s'agit d'un aigle de sang.

Entre le risque réel de couper directement l'aorte et celui d'endommager les poumons et le coeur du supplicié, les scientifiques ont cependant réalisé que la victime serait décédée très rapidement, en quelques secondes, même dans le cadre d'un rituel soigneusement exécuté. "Notre analyse anatomique suggère que même la forme la plus complète de l'aigle de sang décrite dans les sources médiévales existantes aurait pu être possible, mais elle aurait rapidement entraîné la mort de la victime par exsanguination ou suffocation, et que toute autre initiative prise à partir de là aurait été effectuée sur un cadavre".

Les chercheurs stipulent qu'un certain nombre d'aigles de sang dits "superficiels" peuvent avoir été arrêtés avec la mort de la victime, ne laissant de facto aucune preuve archéologique de manipulation sur le squelette du supplicié. 

 

Une question d'honneur

En s'appuyant sur des données archéologiques et historiques, les chercheurs ont pu établir que le rituel de l'aigle de sang correspond à tout un pan bien connu du comportement de l'élite guerrière à l'Âge Viking. "Ils n'avaient aucun scrupule à montrer des cadavres d'hommes et d'animaux lors de rituels spéciaux, y compris lors d'exécutions spectaculaires."

Suède - Reconstitution de la tombe Bj 959 à Birka - Illustration: Mirosław KuźmaLeurs travaux les ont portés à se pencher plus spécifiquement sur les sépultures dites "déviantes", telles que la tombe Bj 959 avec le squelette d'une noble bien habillée qui fut décapitée à Birka au Xème siècle et ensuite enterrée avec les restes de sa tête coincés entre son bras et son torse, sa mâchoire manquante (détruite peut-être lors de sa décapitation) remplacée par une mandibule de porc. Une telle mort a sans aucun doute constitué un spectacle marquant. Mais cela montre aussi, d'après les auteurs, que les guerriers de cette couche de la société étaient obsédés par leur réputation et prêts à tout mettre en œuvre pour protéger leur image.

L'aigle de sang semble avoir été un cas plus extrême de ce genre de comportement, mené uniquement dans des circonstances exceptionnelles comme, par exemple, en représailles sur un prisonnier de guerre qui aurait précédememnt soumis le père de l'auteur du rituel (ou un autre parent masculin) à une mort honteuse, une "mauvaise mort" selon les textes. Dans les sagas en effet, certains de ces "meurtres déclencheurs" concernent des victimes qui pour l'une est jetée dans une fosse pleine de serpents, l'autre brûlée dans une maison longue sans possibilité de combat loyal, ou bien une autre encore éviscérée et clouée à un poteau. L'aigle de sang y est décrit comme un moyen pour les membres de la famille de ces victimes de recouvrer leur honneur perdu.

Contrairement aux idées établies, les auteurs soutiennent donc que l'aigle de sang est "fermement situé dans la couche supérieure de la société de l'Âge Viking", recoupant plusieurs aspects d'une sous-culture martiale. Ils n'ont pas tenté de prouver son historicité mais ils font état d'une pratique de mutilation péri- et post-mortem ritualisée qui ne serait pas allée au-delà des moyens de l'époque, qui était anatomiquement possible et conforme aux us et coutumes reflétant une obsession culturelle pour les questions d'honneur et de prestige. 

Qui plus est, la brutalité spectaculaire de ce mode d'exécution aurait été telle que tous ceux qui en auraient entendu parler ou y auraient assisté, auraient été désireux de raconter l'histoire dans ses moindres détails - tout comme cela se passe encore aujourd'hui.

 

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